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Boîte à outils gestion responsable de données

5.5 Le criblage et la traçabilité de l'aide


TABLE DES MATIÈRES


À retenir

De plus en plus, des mesures de restrictions à l’encontre des partenaires et des bénéficiaires sont demandées par les bailleurs de fond, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou de politique de sanctions.

Les ONG françaises ont réussi à faire annuler les lignes directrices de son gouvernement en février 2023 concernant le criblage des bénéficiaires, mais la pression à leur égard demeure, et d’autres bailleurs (comme USAID) continuent d’imposer le criblage.

Ces mesures – appliquées aux populations affectées - sont contraires aux principes humanitaires et doivent être combattues en ce sens par les ONG.

Les méthodes de criblage de l’aide humanitaire sont des mesures de restrictions souvent demandées par les bailleurs de fond, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou de politique de sanctions. Cependant, elles soulèvent des questionnements éthiques sur les principes humanitaires fondateurs car elles impliquent que les interventions humanitaires et les populations qui en sont destinataires soient tracées et conditionnent souvent le versement des fonds (Source : article CICR, seulement disponible en anglais).

5.5.1 De quoi parle-t-on ?

Le criblage est: “la vérification que toute personne physique ou morale recevant des fonds dans le cadre de projets de solidarité internationale financés par les bailleurs institutionnels […], ne figure pas sur les listes de sanctions internationales ou nationales”.

Ces listes sont établies par les bailleurs (étatiques comme USAID (United States Agency for International Development) de l’UE, comme ECHO ou de l’ONU, par exemple) pour s’assurer qu’ils ne financent pas des personnes ou organismes qui viendraient en contradiction avec leur politique de lutte contre le terrorisme ou de sanctions internationales, comme par exemple le de gel d’avoirs financiers. La demande de vérification est parfois clairement mentionnée dans les contrats, mais parfois elle peut être implicite.

Cette vérification est une méthode de contrôle d’identité qui vise les acteurs humanitaires déployant leurs activités, mais également toutes les personnes travaillant avec elles, comme leurs partenaires locaux, et qui inclut les populations affectées. C’est aux organisations elles-mêmes d’effectuer ces contrôles, qui ont pour but d’exclure les personnes mentionnées dans ces listes des interventions humanitaires.

Attention : Les mesures d’exclusion visant des personnes présentes sur les listes de sanctions, ne devraient officiellement pas les exclure de “services essentiels comme les soins de santé, l’accès à la nourriture et le logement” selon les législations européennes et les règles de l’ONU (Source : article CIRC, seulement disponible en anglais).

5.5.2 Quels sont les enjeux ?

Le criblage permet l’identification et donc le traçage des populations qui sont destinataires de l’assistance fournie par les organisations et acteurs de terrain. C’est précisément lorsque le criblage inclut les populations affectées qu’il devient problématique : dans ce cas, son application comporte des risques vis-à-vis de la population, qui peuvent porter atteinte à leurs droits et rendre leur situation plus vulnérable (et donc mettre à mal le respect du « Do no harm » par les ONG), et vis-à-vis des organisations au regard de la qualité de leurs interventions.

Le sujet est avant tout éthique et non technique, et donc, malgré la dimension en gestion de données, a besoin d’être avant tout traité et suivi par les directions des ONG.

Voici les principaux enjeux liés au criblage des populations (Sources : voir les ressources clés partagées en fin de section) :

  • Non-respect des valeurs humanitaires d’impartialité et de non-discrimination, liées à l’exclusion des personnes mentionnées dans les listes, qui n’est pas basée sur leurs besoins,
  • Mission hors mandat humanitaire : la vérification des identités ne fait pas partie des missions des acteurs humanitaires,
  • Inefficacité du criblage : la mise en œuvre de procédures administratives pour appliquer le criblage entraine un ralentissement des opérations humanitaires,
  • Opacité des critères établissant les listes de personnes visées par des sanctions internationales/nationales,
  • Absence de recours possible pour les personnes qui sont désignées dans une liste de sanctions internationales,
  • Risque sécuritaire pour le personnel mettant en œuvre les mesures et excluant de facto des personnes de l’assistance fournie,
  • Mise en péril de la relation de confiance avec les populations affectées : climat de défiance,
  • Risque de ciblage de certaines personnes/ populations en cas de conflit armé, si le financeur participe au conflit,
  • Risque d’indisponibilité ou d’absence de documents d’identité des personnes,
  • Risque d’inciter les populations à utiliser une autre identité pour accéder aux services.

Dans l’ensemble, les acteurs humanitaires ne s’opposent pas au criblage en lui-même, mais quand il s’applique aux destinataires de leurs interventions : c’est la ligne rouge qu’ils ont dressée, liées aux enjeux évoqués. Celle-ci a été de manière générale entendue par les bailleurs institutionnels, mais la pression pour inclure des mesures de restrictions en lien avec le criblage reste présente, surtout dans des situations de conflits.

En France, l’Etat (via le Ministère européen et des affaires étrangères) avait imposé des lignes directrices comprenant le criblage des bénéficiaires en 2021, qui ont été annulées par une décision de justice en février 2023. Plusieurs organisations humanitaires s’étaient soulevées pour dénoncer ces mesures qui remettaient en cause les valeurs humanitaires.

5.5.3 Comment les ONG peuvent appréhender le sujet

Au-delà du fait de maintenir la « ligne rouge » émanant des acteurs humanitaires (français en particulier), il est important en termes de bases de données et de collecte de s’assurer que l’on ne partage pas les données des bénéficiaires dans un objectif de criblage.

Cas particulier des Etats Unis qui déclarent ne pas exiger de criblage pour les bénéficiaires finaux des programmes qu’ils financent. Mais dans la pratique, leur approche diffère. Par exemple, l’USAID semble avoir des pratiques qui se font au cas par cas et peut exiger, au sein d’accords de financement, des criblages de bénéficiaires finaux dans des contextes spécifiques, notamment des terrains où des groupes considérés comme terroristes par les Etats-Unis (Boko Haram au Nigeria par exemple) à certaines organisations humanitaires.

Une grande vigilance est requise lorsque les acteurs humanitaires travaillent avec des bailleurs de fonds américains pour ce manque de clarté dans les pratiques, mais également en lien avec le « Cloud Act », une législation permettant la récupération de données personnelles dans certains cas par le gouvernement des Etats Unis et compromettant la protection des données

5.5.4 Ressources clés

  • L’article de Coordination Sud de février 2023 revient sur les lignes directrices relatives au criblages que le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères avait émise deux ans plus tôt et leur annulation par la justice.
  • Un article issu de la revue internationale de la Croix rouge et un fact sheet du Diakonia Humanitarian Law Centre au Liban apportent des éclairages sur les enjeux du criblage des bénéficiaires finaux dans le secteur (seulement disponibles en anglais), ses impacts sur les interventions humanitaires et son incompatibilité avec les principes humanitaires et le droit humanitaire international.